JE
ME PROPOSE DE LAISSER PARLER LES PLANTES * Tout commence par la collecte des matériaux dans des territoires que je choisis en fonction de ce qu’ils représentent, de la force qu’ils suggèrent : j’ai autant de plaisir à marcher dans des zones de montagnes accidentées qu’au bord de l’océan ou au bord de marais avec toute cette vie souterraine sous-jacente. Je pense à un texte d'Henri Bosco dans le Jardin d'Hyacinthe dans lequel il parle d'un "printemps souterrain": "Depuis un temps indéfini une mystérieuse impression me troublait d’une vie souterraine ; et ce trouble, touchant mes puissances mentales déliées, déjà des visions instables se détachaient de mes profondeurs, à travers la somnolence. Etranges formes issues du non-être, mouvements sinueux de la matière à ombre, transferts de pensées en visages et de visages en sentiments purs, une immense circulation de ces émotions anonymes animait tous les invisibles épandus sous la terre aux fentes tièdes, où les bêtes, les eaux cachées et les racines, attirées dans l’air chaud et le rayonnement des astres, cherchaient une issue pour monter à la surface de la douce vie planétaire." Pour moi, le rythme de la marche est essentiel pour m’immerger dans un lieu. C'est aussi retrouver un rythme ancestral, lent, élémentaire et universel qui va à l’encontre de ce que nous vivons aujourd’hui. Le mouvement répétitif libère l'esprit et rend plus réceptif. Tous mes sens sont aux aguets…Je suis réceptive à la moindre lumière, aux odeurs, aux ambiances du lieu. Je me sens prédatrice. C'est à ce moment là que je vais repérer les végétaux qui m’intéressent. Par la marche, on ressent cette vitalité du lieu. Cela me fait du bien et je me sens enracinée. Le fait de marcher, de parcourir, on ressent cette énergie vitale de la Terre qui remonte en soi. Dans mon travail les aspects botaniques ou ethnobotaniques sont importants et peuvent intervenir avant ou après la cueillette. Il m'est arrivé par exemple de réaliser des oeuvres à partir du maïs, suite à une visite d’exposition sur les Mayas, mais je peux aussi collecter des végétaux de façon très intuitive et me documenter ensuite, comme je l'ai fait pour les extraordinaires prêles. Je me nourris de l'histoire des plantes. En 2003, une sécheresse exceptionnelle a provoqué dans les marais d’Oléron un phénomène très particulier. Des papiers végétaux se sont formés de façon naturelle: le vent a déposé et accumulé sur l'eau de fins débris végétaux; le sel et le soleil les ont cuit. Comme dans un tamis les pulpes se sont déposées puis ont séché au soleil. Dans le marais asséché elles pouvaient alors se détacher comme des peaux de bêtes. J'ai eu la chance de trouver des papiers de textures différentes que j’ai ensuite combinés avec du papier fourni par un énorme cardon sauvage récolté dans ces mêmes marais. La
fabrication du papier est un processus très long: trier
les différentes parties du végétal; séparer
les feuilles de la tige; mettre de côté les fleurs qui seront
séchées pour être réintégrées
par la suite au papier. C’est par la cuisson (qu'il faut parfois
renouveler) que la matière végétale est transformée
en pulpe. Cette phase de destruction par le feu est une des plus impressionnantes:
l’odeur est nauséabonde; le bain se transforme en un jus
noirâtre et visqueux. Au moment des rinçages successifs,
j’éprouve souvent un malaise, jusqu’à ce que
la pulpe soit enfin propre et inodore. A
ce stade je crée un espèce d’alphabet de la plante
en explorant systématiquement toutes ses potentialités et
en utilisant toutes les techniques de fabrication du papier ( tapa, méthode
occidentale et orientale) avec des pulpes diversement traitées.
Il est complété par la fabrication de feuilles de papier
plus sophistiquées jouant de toutes ces composantes auxquelles
s'ajoutent des mises en forme sans tamis. Toute une gamme de possibilités
est utilisée depuis la forme identifiable du végétal
jusqu'à la matière informe du papier. J'en viens ensuite aux assemblages de feuilles. C'est l'occasion de créer des rapprochements volontairement déroutants. Les formes qui en émergent me reconduisent aux forces en action ressenties dans les lieux et au moment de la cueillette des végétaux. Un travail de peinture enfin va permettre d’apporter certaines lumières, de rehausser parfois des couleurs en mémoire de celles du végétal vivant, mais surtout d'atténuer les césures entre les différentes parties, de relier tous les éléments afin que circule dans l'œuvre une même énergie. Cette force, déjà ressentie au moment des collectes de végétaux, je la retrouve également dans ma pratique du Qi Gong, gymnastique chinoise qui fait remonter et circuler l’énergie vitale dans le corps entier. Dans mes assemblages, il m’arrive de coudre les papiers. Dans l'ensemble de mon processus de création je me rends compte que je lave, cuit, rince, sèche les feuilles: autant de tâches ménagères et de gestes ancestraux liés à la femme. J’ai toujours été fascinée par les femmes qui en Inde, en Afrique du Nord ou en Afrique continuent à décorer les murs de leurs maisons avec des signes peints transmis de génération en génération. Je me questionne moi-même par rapport à mon héritage: que m’ont légué ma mère, ma grand-mère, mon arrière-grand-mère ? Travaillant dans le paysage, avec le paysage et les éléments qui le constituent, en m’intéressant au "langage de la plante", je cherche à remettre en circulation ces énergies du végétal et à faire naître des formes issues de ces forces. Rien d'étonnant à ce que je me rapproche ainsi de formes "archaïques".
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